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La justice à l’épreuve de l’IA

Introduction

La loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique institue d’une part la mise à disposition gratuite de l’ensemble des décisions des juridictions administratives et judiciaires à l’horizon 2025 et, d’autre part, confie au pouvoir réglementaire le soin d’en construire un cadre juridique cohérent.

L’abondance de cette mise à disposition va transformer les décisions de justice en données ouvertes (open data) et massives (big data) favorisant ainsi l’essor du marché de l’économie numérique juridique, au sein duquel s’inscrivent les outils de justice prédictive.

Ces outils, développés par les entreprises de technologie juridique (legaltech), utilisent certains composants de l’intelligence artificielle, les algorithmes et les logiciels d’intelligence augmentée, pour calculer une prédictibilité.

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Remarquons que les outils utilisés pour l’instant se cantonnent à une prédiction essentiellement quantitative et statistique. Nous envisagerons les atouts, fantasmes et danger du juge-robot. Puisque déjà les premiers signes apparaissent d’une justice prédictive cognitive, forme de préjugement, laissant entrevoir une importante et fulgurante transformation de l’environnement judiciaire. Nous...

Atouts, fantasmes et danger du juge-robot

Le premier juge-robot est né en Estonie au début de l’année 20201. Cette petite république balte, pionnière en matière de technologies numériques, a en effet développé un robot qui remplace le juge pour les litiges inférieurs à 7 000 euros. Au motif que « la justice perdrait trop de temps à traiter les petites affaires »2, les litiges relatifs aux indemnités de licenciement, aux pensions alimentaires ou encore aux excès de vitesse sont désormais à la charge de ce juge-robot3. Cette nouvelle façon de rendre la justice constitue désormais une réalité tangible et le remplacement des professionnels du droit par des machines « intelligentes », ou tout du moins, l’association de ces hommes à des juges-robots, s’apparente à une nouvelle ère : l’heure du juge-robot est arrivée !

Objet de désir pour les uns, repoussoir absolu pour les autres, il est parfois délicat d’entreprendre un débat apaisé sur ce sujet devenu incontournable. Pourtant, l’IA appliquée à la science juridique mérite mieux que les imprécations de ses pourfendeurs ou que les bénédictions amourachées de ces admirateurs. L’avènement du juge-robot constitue en vérité une rupture qu’il faut envisager avec lucidité, sans passion excessive, mais pas sans intérêts.

Dans cette optique, il convient d’envisager les différents atouts, les multiples fantasmes et les dangers qui s’attachent à l’intelligence artificielle appliquée à la justice.

1. Atouts

Parmi les incontestables atouts du juge-robot, il convient de mentionner tout d’abord le formidable gain de temps qu’il permet d’espérer. Avec l’IA, les délais peuvent être considérablement raccourcis. Le recours aux juges-robots constituerait ainsi une solution particulièrement avantageuse pour désencombrer les juridictions4. L’IA permet une action fulgurante, sans toutefois être expéditive. En effet, l’intérêt majeur du juge-robot réside dans sa capacité à...

Justice et prédictibilité

La justice prédictible consiste à proposer des outils numériques se basant sur l’analyse de la jurisprudence pour pouvoir prédire les décisions de justice à venir. Autrement dit, il s’agit de déterminer la solution d’un futur litige par l’étude des cas similaires intervenus dans le passé28.

Si l’objectif final n’a rien de novateur29 car il correspond déjà au travail de l’avocat ou de l’universitaire consultant s’attelant à l’acquisition d’une prescience de la jurisprudence pour ses clients, les moyens mis en œuvre pour y parvenir sont en revanche tout à fait nouveaux. En effet, le « profilage des juges »30 par les avocats ou la « pratique américaine de la sélection des membres des jurys »31 tendent depuis toujours vers cette finalité, mais la révolution des technologies digitales permet aujourd’hui l’émergence de nouveaux acteurs, les fameuses Legaltech, désireux d’utiliser les outils numériques disponibles et notamment les big data32. Pour la justice prédictive, ce dernier élément correspond ainsi à une base de données jurisprudentielles contenant l’ensemble des décisions judiciaires qu’il est possible de recueillir33.

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Cette démarche impose de disposer d’une base de données...

La fin de l’aléa judiciaire

Nous pensons que le développement fulgurant de la justice prédictive n’est pas sans conséquence à long terme sur l’avenir de la justice. Parmi toutes les problématiques induites par ce bouleversement, la plus prégnante réside dans le remplacement de l’aléa juridique par une sécurité juridique. Comme nous l’avons précédemment évoqué, le recours à la justice prédictive offre la possibilité à chaque justiciable de déterminer les chances de succès de ses actions judiciaires ou les sommes qu’il pourrait percevoir. De ce fait, une partie de la doctrine estime que l’aléa judiciaire, c’est-à-dire le caractère imprévisible de la décision que prendra le juge, pourrait être largement amoindri, si ce n’est complètement écarté en raison de l’usage systématique des algorithmes.

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En effet, le monde judiciaire confié aux algorithmes entraînerait la disparition des droits de la défense et les revirements de jurisprudence seraient impossibles. Or, le droit est une discipline vivante, évolutive et adaptative. Il diffère en fonction des époques et des mœurs, et sa création prétorienne n’a eu de cesse d’enrichir la science juridique...

Notes

1 Signalons toutefois qu’au Québec, la Régie du logement a mis en place un robot-juge afin d’éclairer les justiciables sur l’opportunité d’une contestation. Seulement, à la différence du robot-juge estonien, il n’a pas de pouvoir décisionnel (cf. K. BENYEKHLEF, « JusticeBot : vers un accès au droit et à la jurisprudence en matière de droit locatif pour la population », UDEMnouvelles, Université de Montréal, nov. 2018).

2 Ott Velsberg, directeur des données des institutions d’Estonie.

3 Précisons toutefois que le justiciable estonien peut toujours interjeter appel devant un juge « humain ». Pour une brève présentation de cet ambitieux projet (cf. G. HAAS et A. POUJOL, « Legaltechs, justice prédictive : le développement de l’IA dans l’industrie du droit s’accélère ! », Haas Avocats, 2019).

4 En matière civile et commerciale, la Direction Générale Justice de la Commission Européenne signale que le délai moyen entre l’introduction d’une action et la mise à disposition du jugement en première instance est de 375 jours. Par conséquent, la France est régulièrement condamnée par la Cour Européenne des droits de l’homme pour les délais déraisonnables de sa justice. Pour une illustration, voir CEDH, Aff. PÉLISSIER ET SASSI c. FRANCE, 15 septembre 2010, n. 25444/94.

5 Le logiciel développé par la start-up Predictice peut ainsi lire plus deux millions de documents par seconde. Cf. T. COUSTET, « La réalité derrière le fantasme de la justice robot », Dalloz Actualité, 15 avril 2019.

6 Voir sur ce sujet M.-N. KOFFI, « Une justice civile proche des citoyens : perspectives pour une procédure dématérialisée des petits litiges », in Die Digitalisierung des Zivilrechts und der Ziviljustiz in Deutschland und Frankreich, Université Friedrich-Alexander Erlangen-Nürnberg, CERCRID-IDCEL-UFA, 2019, Erlangen, Allemagne. pp.319-320.

7 Pour s’en convaincre, nonobstant les heures de repos quotidiennes et les éventuelles...