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Émergence des annotateurs, un nouveau rôle nécessaire aux IA

L’histoire de Soraya et de l’IA

Julie tira une chaise vide de la table d’à côté et s’assit à côté d’Eran.

— Je tiens à m’excuser, Soraya. J’ai parlé avec Christophe et sans doute avons-nous mal communiqué sur nos intentions.

Soraya, mal à l’aise, laissait défiler son regard entre le corps d’Eran et celui de Julie, cette cheffe de projet qui n’en était pas une. Sur quoi d’autre, Soraya s’était-elle trompée ?

La voix grave de Julie se tailla une place entre les conversations éparses du restaurant.

— Mon attitude ce matin n’a pas dû aider. J’étais en colère.

Ça, Soraya l’avait remarqué. À cause d’une pauvre fille qui refusait de se voir voler son travail par une IA.

— Tu sais comment on construit les intelligences artificielles ? demanda Julie.

Soraya aurait voulu hocher la tête. La vérité, c’était que même maintenant face à Eran et Julie, elle en savait si peu.

— Pas vraiment, répondit-elle alors.

— Sur le dos d’au moins des millions de personnes mal considérées et mal payées.

Eran se recula dans son assise comme pour se retirer de la conversation. Julie, au contraire, se pencha vers Soraya.

— J’ai rencontré...

Les annotateurs : qui sont-ils ? Que font-ils ?

Que font les annotateurs ?

Vous vous rappelez de la retouche photo ? Nous avons dit que le logiciel apprenait à partir d’images comme celle-ci :

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Ici, nous avons une ruelle avec des formes humaines grisées. En analysant ces dernières, le programme saura reconnaître des inconnus dans le futur. Mais il a bien fallu à un moment donné tracer une délimitation, savoir où se trouvaient les premiers corps. Ce sont des gens qui ont fait ce travail. Avec un outil numérique, ils ont détouré les lignes droites et les têtes rondes. Par-là, ils ont indiqué à l’ordinateur ce qu’était un humain.

Nous retrouvons ce procédé dans d’autres situations. Ce sont de vrais individus qui lisent des textes et désignent l’humeur s’en dégageant. Les tags sur les vidéos sont également posés par des personnes. Les humains sont partout dans le développement des IA. Ils interviennent en amont pour créer les données. Ils s’immiscent aussi en aval pour vérifier que le système marche bien et l’ajuster. C’est par exemple le cas avec la reconnaissance faciale. Ce dispositif s’étend dans les aéroports. Pour autant, il y a souvent quelqu’un à un moment qui effectue un contrôle ou agit en cas de difficultés. Ces personnes-là sont communément appelées annotateurs et annotatrices.

Julie évoque le métier des annotateurs et clame que ce serait là le seul que l’IA créerait vraiment. Elle est en colère et tient des propos assez nébuleux. Apportons-y de la lumière.

Oui, il existe bien une foule d’individus qui nourrissent les IA. Sans leur travail, une infime partie des systèmes intelligents continuerait à vivre. Ce sont des gens qui vont comme leur nom l’indique annoter les données. En d’autres mots, ils vont les produire et les orienter de telle sorte à être utilisables par les IA. Et nous savons maintenant qu’il s’agit là du carburant des moteurs d’IA. Ainsi, en effet, il apparaît difficile de se passer des annotateurs et annotatrices.

Les annotateurs et annotatrices de ChatGPT

Illustrons...

Le travail dans tous ses états

Le travail hors travail

Afin de mieux cerner ce qui se joue avec l’émergence des annotateurs, il s’agit de comprendre leur rapport au monde du travail. En effet, les travailleurs du clic se retrouvent au croisement de plusieurs notions. Parcourons-les pour les intégrer au sujet de ce livre.

D’abord, ces annotateurs et annotatrices parfois considérés comme travailleurs, parfois comme non travailleurs appartiennent au champ de ce qu’on pourrait appeler, pour reprendre une expression d’Antonio Casilli, le travail hors travail. Ce n’est pas un cas rare dans l’histoire de l’humanité. Nous avons tendance à juger que seule une mission encadrée par la loi comme telle représente du travail. Pourtant, les affaires Uber ou Deliveroo nous ont montré que nous pouvions nous tromper dans nos catégorisations. Ce n’est pas parce qu’il y a absence de contrat salarial qu’il n’y a pas une activité professionnelle qui bénéficie à la société dans son ensemble.

Le travail gratuit

Plus que du travail hors travail, les annotateurs relèvent quelquefois du travail gratuit. Là encore, rien de nouveau. C’est par exemple l’une des grandes revendications des mouvements féministes : faire reconnaître le travail domestique, aujourd’hui gratuit...

Les annotateurs : un métier pérenne ?

L’annotation, un métier précaire

Les travailleurs du clic expérimentent plusieurs formes d’embauches. Certaines plateformes ou structures sont exigeantes sur les compétences de leurs travailleurs et travailleuses. D’autres laisseront passer n’importe qui. Un système de notes permet bien souvent d’évaluer la qualité de votre travail au fur et à mesure de vos missions.

Ainsi, ce n’est pas parce que vous êtes inscrit que vous resterez. Vous serez peut-être désactivé ou alors ne recevrez que les tâches les moins rémunératrices. En ce qui concerne la rétribution, quand elle est monétaire, sur les plateformes, elle est estimée à une moyenne de deux dollars par heure. Les modérateurs kenyans sur ChatGPT touchaient un peu moins. En fonction du pays dans lequel on se trouve, ce montant a plus ou moins de valeur. Au Kenya, c’est a priori une belle somme. Mais dans des régions où le niveau de vie est élevée, cela ne peut constituer une activité à temps plein. Ainsi, plus qu’une nouvelle opportunité de métiers, c’est peut-être davantage des nouvelles tâches qui apparaissent. Pour l’instant, elles peinent à se structurer dans un vrai corps professionnel, mais cela...

En résumé

  • Les annotateurs et annotatrices collectent les données, les préparent, les trient et les modèrent pour le compte des IA. Ils s’assurent aussi de la qualité du système. Ils sont nombreux, au moins plusieurs millions et peut-être plusieurs milliards si on inclut les internautes à œuvrer dans des structures plus ou moins reconnues comme professionnelles.

  • La modération est devenue importante pour les annotateurs. Il s’agit de trier le Web pour n’en garder que les contenus acceptables.

  • L’IA actuelle basée sur des données a recours à une foule de travailleurs dont on parle peu. Cette intelligence artificielle aurait presque un goût de supercherie une fois qu’on en étudie les rouages. Pour plusieurs raisons, il n’est pas évident de voir au premier abord la présence des annotateurs.

  • Cette invisibilisation tient aussi au fait que cette activité se situe aux confins de plusieurs formes de travail qui tendent à être peu ou pas reconnues.

  • Si le métier peut sembler peu pérenne, les missions qu’il comprend ont a priori encore le temps avant de s’évaporer.

En définitive, cette intelligence artificielle se révèle bien plus humaine qu’il n’y paraît au début avec sa ribambelle d’informaticiens, de designers et d’annotateurs....